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La nature racontée
12 avril 2014

petite histoire à Marseille

J’ai retrouvé « mon Marseille », et mon resto de quartier. Là où j’allais lorsque j’intervenais dans le quartier du Merlan.

Le patron du resto m’a aussitôt reconnu. Il faut dire que c’est un chef auquel rien n’échappe. Haut comme 3 pommes et fin comme un fil de fer. Mais c’est lui le chef, et il le fait savoir régulièrement. Comme il reste au bar pour distribuer les apéros, et plus tard le café, il va et vient sur une petite estrade en hauteur, de là, il domine son monde. C’est un comédien, le bar est sa scène. Il se fait appeler « Marius » par les clients, mais je suis sûr que c’est un pseudo. Comme Johnny pour Jean-Philippe. En réalité il me semble qu’il est Arménien. Un Arménien bien de Marseille. Lorsqu’il m’a vu rentrer dans la salle, alors que j’attendais que l’on m’attribue une place, il a levé le bras. « Salut, Monsieur ». Et comme je n’étais pas venu depuis un an, il est descendu de son bar pour me saluer, en inclinant légèrement le haut du corps, talons joints et tête penchée, comme on salue la noblesse. Dans ce café de Marseille, je ne passe pas inaperçu ! Ça se voit tout de suite que je suis de la « haute » ! Ça se sent ! On n’échappe pas à son empreinte ! C’est un restaurant ouvrier : beaucoup d’ouvriers du bâtiment en bleu de travail piqueté de tâches de peintures, ou alors du BTP, reconnaissables avec leurs gilets jaunes fluo. On peut y voir inscrit dessus « GDF Suez », « Eaux de Marseille », « Bouygues ». Chacun sa marque, mais la même veste. Ils ont tous levé la tête lorsque Marius s’est écrié en ne me lâchant pas la main : « il vient de Bruxelles ! » et de poursuivre, sûr de son effet : « c’est loing hé ! » , et de continuer fier comme Artaban: « Ce que c’est que la fidélité quand même !! ».

On me dévisage, et puis la vie reprend, le brouhaha avec. On me place à une table pour une personne seule. Il n’y en a pas beaucoup. Hier, ils ont servi 130 couverts. Ça tourne comme dans une ruche en pleine miellée. A peine installé, la table est pleine : le pot d’eau, la corbeille de pain, quelques olives, et le pichet de vin, rouge ou rosé. Mais ce n’est pas un pichet, c’est carrément une cruche, que je m’emploie à finir, bien sûr. En Belgique, les tables sont vides, il faut commencer par commander, même l’eau et le pain seront comptés dans l’addition. Ici, on donne joyeusement, c’est d’abord le soleil que l’on cultive. Le reste vient après, et tout le monde s’y retrouve. La cuisine est familiale, on y mange bien, et copieusement, et pas cher. Au Bar, le Chef continue de servir les apéros. Mais dans les vitrines du bar, ne trônent que 3 bouteilles : Ricard, 51, et pacific. Je remarque que la seule bouteille qui reste pleine est le pacific. Probablement placée là par prudence pour ceux qui conduisent. Alors, ici, ne viennent que des piétons !!

Régulièrement, le chef peste, fulmine, engueule. Au-dessus de lui, un panneau : « interdit de me casser les couilles ». Il s’énerve beaucoup sur la machine à café : il faut dire qu’à force et avec le poids des années, ça devient de plus en plus dur pour les poignets. « ha ! putaing ! ». et puis il revient vers une table : « combien de café déjà ? ». « 8 ! », lui répond la tablée ! « Ha, Putaing, 8 ! » éructe-t-il en retournant à sa machine à café. Ça l’énerve ! Et ça l’amuse en même temps. C’est un Marseillais. Il fait le beau, fait trois tours et reprend sa place. Dans ce vieux bar un peu jauni, une photo de lui est accrochée au mur : elle doit dater des années Claude François : un sourire d’enfer de jeune premier, une chemise blanche à grand col pointu, ouvert sur une poitrine fleurie. Oui, oui, il était beau. Avec son sourire de séducteur, il aurait pu faire carrière dans le cinéma. Ou peut-être même catcheur dans les petites catégories. Le public l’aurait sûrement acclamé. A présent, son estrade, sa scène, c’est le bar. Il boit de temps à autre un petit galopin de bière pour trinquer avec les clients qui viennent au bar se faire engueuler pour le plaisir. « Qu’est-ce que tu veux ? » « Un pastis ». « Avec des glaçons ? ». « Oui ». « oh , Putaing ! Vous voyez pas que c’est encore l’hiver ? Oh Putaing ! ». On aime avoir un chef devant soi. Ça rassure.

Sur le côté du bar, un homme immobile en survêtement, habillé comme en pyjama. Il tient sur 2 béquilles. Pas sûr qu’il boîte, mais ce qui est sûr c’est que sans ses béquilles, il ne tiendrait pas du tout. Tout semble lourd chez lui, la tête qui pique du nez, on dirait un vieux marabout planté au bord d’un lac, statufié. Même les paupières semblent trop lourdes. Elles restent mi-closes, comme des vieux stores un peu rouillés que l’on ne sait plus remonter. Je le surveille : pas question qu’il attrape son ballon de rouge, s’il lâche ses béquilles, il tombe. Mais voilà : il est posté sur le côté du bar, juste à l’endroit ou le chef peut sortir pour aller aux toilettes. Il faut bien, lorsque l’on trinque avec tout le monde, faire quelques allers-retours. Voyant le passage bouché, le chef fait mine de lui planter son poing dans la figure en poussant un gros « wooouuhhh » ! Alors L’homme en pyjama s’est poussé mollement sur le côté l’air entendu, et Marius est passé, son sourire malicieux d’ex jeune premier au coin de l’œil. En se déplaçant, l’homme au pyjama laisse apparaître un autre panneau qui est accroché au mur derrière le bar :  « SPECTACLE EN COURS ».

C’est bien cela : de 11H30 à 13H30 c’est scène ouverte. Tout est réglé au millimètre. Le client n’attend pas. Le patron le sait : pour ces travailleurs, la pause n’est pas très longue. Tout doit être servi au doigt et à l’heure. Les trois serveuses courent, et scrutent au passage toutes les tables avec la précision d’un laser. « Ici, il manque du pain, là il faudra amener le plateau de fromage ». Pour le dessert la serveuse m’annonce le choix du jour : tarte aux amandes ou bien crème caramel maison et sa chantilly. C’est au choix. Lorsque j’entend amande d’un côté et crème chantilly de l’autre côté, mon cerveau ne fonctionne plus. Il demeure figé, prend l’aspect d’une gelée, puis d’une méduse, plus moyen de faire un choix. Voyant mon désarroi, la serveuse me dit : « ne bougez pas ». Et 2 minutes plus tard, ma table est honorée des deux desserts !!

 « Spectacle en cours » ! C’est comme ça chez Marius : on ne compte pas, on joue, c’est mieux. Ce qui compte c’est la vie, et sa comédie ! C’est comme cela que l’on est Marseillais ! C’est comme cela que la vie est plus belle ! Tout le monde sait comment est la sardine dans le vieux port, mais ici, à Marseille, on a l’élégance de l’honorer. On la lustre, on lui donne l’éclat d’un trésor. Une rareté unique, jamais vue au-delà du vieux port. C’est ici qu’elle est, « plus belle la vie ». Si elle n’était pas énorme, cette sardine, il n’y aurait pas matière à dire. Et celui qui n’a pas matière à dire ne peut pas être Marseillais. Moi,  conteur d’un jour, j’aime ces conteurs de toujours ! C’est eux les maîtres. Ils ont l’art, la manière, et surtout la couleur. Toujours une matière à rire sous la langue. Personne n’y croit, mais tout le monde écoute… et rit…et c’est parti pour la surenchère ! Peuchère ! C’est comme ça la vie ! On en rajoute, on la colore comme la méditerranée, on lui donne l’éclat du Soleil. Plus belle la vie !

C’est seulement lorsqu’ arrive une grosse tuile que tout se tait.

13€40 pour le menu complet (fromage, dessert, vin, café compris). En payant l’addition, je demande à Marius : « et votre épouse, comment va-t-elle ? » - Je parle « comme un marquis » pour tenir mon rang -  Marius, qui a toujours la formule sous la langue ne dit rien. Alors, je risque : « elle se repose ? ». Je la voyais tous les ans, alerte et gracile se faufiler entre les tables. Très élégante, elle me faisait penser à la mamie de Babar, dans la bande dessinée de mon enfance. Alors Marius souffle « Raahh, la maladie…… » et puis il s’éloigne et va chercher sa cigarette posée sur le coin du bar et la rallume avec empressement. Autour de moi, les clients accoudés au bar ne pipent mot. Ils se sont tous tus, eux aussi ! Je les regarde les yeux ronds, ne sachant ni ou me mettre ni quoi dire. J’avais honte ! Après un silence interminable ou j’aurai tant préféré disparaître, un Homme à côté me souffle à voix très basse : « vous êtes pas au courant ? ». Mais il n’a pas voulu m’en dire plus. Je ne voulais pas en savoir davantage non plus. Je n’osais plus lever les yeux nulle-part.

Fin du spectacle, et je m’en vais, penaud, comme un étranger.

 

 

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